Il y a cette eau qui glisse entre ses mains. Qui caresse doucement sa peau et il ferme les yeux, profitant pleinement de cet instant si paisible dans la cité d’argent. Et puis vient la brise qui glisse dans son cou. Alors il se retourne pour faire face aux yeux gris de l’ange du vent. Et il sourit. Leurs mains se mêlent alors que le vent et l’eau ne font plus qu’un. Alors que les deux se mêlent sous les ordres des anges qui leur sont supérieurs. Alors elle s’élève, doucement. Elle forme les nuages bientôt envoyés au loin par celle qui en a le pouvoir. La brise glisse une dernière fois sur son visage avant qu’il ne lâche sa main.

« Il faut que tu y ailles. L’agriculture et les orages ne font pas bon ménage. » Il s’arrache à la vue de l’ange lui faisant face. Et le voilà partit, l’ange de l’eau. Lui qui pourrait faire tout ce que celui de l’agriculture lui demande. Cet ange qui arrive à lui arracher des rires, des sourires. Celui auprès de qui il aime trainer. Un duo qui fonctionne parfaitement dans la sphère de la nature. Il a le don d’illuminer ses journées avec ses cheveux blonds comme le blé qu’il fait pousser et ses yeux verts comme l’herbe sur lesquels pâturent les bêtes. Il n’était que douceur alors que ses mains glissaient sur le sol. Alors qu’il réveillait les graines. Tant de choses qu’il pouvait le regarder faire des milliers de fois sans s’en lasser. Parce que c’était beau, cette vie qu’il avait dans ses mains. Cette vie qu’il façonnait.

Des amis, peut-être plus, à vrai dire, il s’était jamais posé la question Haiaiel. L’amour, c’était pas pour les créatures célestes, c’était pour les humains, pour qu’ils aient une vie heureuse. Lui, son eau lui suffisait pour être heureux. Peut-être qu’il l’était un peu plus, depuis qu’il était dans sa vie. Depuis qu’il avait été créé quelques centaines de milliers d’années après lui sur une idée d’un ange supérieur. Un ange qui devait permettre aux humains de gagner en sécurité, en confort en leur apprenant à domestiquer les bêtes et à faire pousser des cultures. Peut-être qu’il avait changé des choses en lui, l’avait ouvert sur le monde et les humains. Mais il pouvait pas savoir. Pas vraiment. Parce que dans le fond, les humains étaient arrivés à peu près en même temps que lui. « L’agriculture et sécheresse ne peuvent coïncider. » Son regard tombe sur les terres désertiques sous leurs pieds. Son regard se voile de colère. « Je te promets que je le détruirai. » Pour toi. Pour que tu puisses faire ce que tu fais de mieux. Il le ferait, même si c’était la dernière chose qu’il ferait, même s’il devait se brûler les ailes pour ça. Parce qu’il voyait la souffrance dans son regard alors que celui-ci se portait sur les champs stériles de l’Afrique, sur les enfants qui mourraient de faim, sur l’herbe jaunie par la chaleur.

Flamme contre eau. Dans cette guerre millénaire qui les oppose ils sont encore là. Le démon du feu fait face à l’ange de l’eau. Les flammes orange dansent sous le regard de l’ange qui les arrête. Regards qui se braquent alors qu’ils se reconnaissent pour s’être croisés des centaines de fois. Les circonstances sont toujours les mêmes. Il est toujours là pour l’empêcher d’apporter le malheur sur cette terre. Le feu, seul l’ange de cet élément avait le droit de l’utiliser à ses yeux. Lui seul l’utilisait à bon escient, lorsque le temps était venu. Forêt trop vieille et devant repartir du départ, brousse trop sèche. Mais pas sur des cultures, pas sur une forêt qui ne devait pas brûler ou au sein d’une maison familiale. Il était de ces lieux où il n’avait pas sa place.




Le feu brule, la chair fond alors que les flammes lèchent ses bras. La peau boue. Il croise son regard malsain quelques secondes avant de s’effondrer. Aujourd’hui, le feu a pris l’ascendant sur l’eau. « Enfin. » Murmure moqueur dans le creux d’une oreille. Souffle malsain qui glisse sur son visage. Aujourd’hui, il n’est pas le seul grand perdant alors que le supermarché est en proie aux flammes, au feu qui dévaste tout sur son passage. Aujourd’hui, les anges ont perdus une bataille. Aujourd’hui, avec des centaines d’humains, ils viennent de perdre un des leurs. Mais ils l’ignorent encore. Il a sombré avant d’avoir pu les prévenir.

Les bruits de pas le réveillent. Il tente de fuir. De retourner dans son monde. Mais il ne peut pas. Il est pris au piège. « Alors on espère s’évader ? » Ce rire. Toujours ce rire. Celui du feu. Celui de la noirceur. Celui du démon qui avait essayé de le faire chuter bien des fois. Celui du démon qui venait d’y parvenir. La lueur malsaine de son regard luie dans le noir. CLAC ! Une légère entaille vient couper son bras alors que le fouet claque dans l’air. La douleur, légère se répand dans son corps. « Ca, c’est pour tenter de fuir. » Il se déplace dans ce noir qu’il ne comprend pas encore, dans cette pièce inconnue à ses yeux. CLAC ! La chair de son dos se déchire. Il titube sous le choc. Elle se répand en lui, cette douleur. Ainsi, c’était à cela qu’elle ressemblait, la véritable douleur. Il a l’impression que le feu brule. Rythme cardiaque qui accélère. Il brule. « Ca c’était pour avoir osé me défier. » CLAC ! Il tombe sous la force du choc alors qu’un gémissement de douleur franchit la barrière de ses lèvres. Il veut être fier, mais il ne le peut pas. Il souffre l’ange alors qu’une seconde plaie béante rejoint la première. Alors que le sang glisse sur la peau d’un dos immaculé. « Ca c’était pour l’incendie arrêté du mois dernier. » CLAC ! Ses dents s’enfoncent dans sa langue pour retenir le hurlement de douleur. « Ca c’était pour l’eau dans mes poumons et les 2 semaines à m’en remettre. » Le goût métallique du sang se répand doucement dans sa bouche. CLAC ! Il s’effondre. Le sol froid lui fait du bien au final. « Ca c’ét… » « Ca suffit ! » Une voix puissante résonne dans la pièce alors qu’une seconde personne les rejoint. Il relève doucement la tête l’ange. Il veut remercier son sauveur, parce qu’il est naïf l’ange. Il comprend pas qu’il n’y aura pas de sauveur dans ce lieu. Qu’il n’y a que les siens qui peuvent le sauver de ce qui va suivre. « J’avais été pourtant clair, il doit parler. » Léger frisson. « Et à ce rythme-là, on va pas le faire parler. » Léger frisson se transformant en tremblements incontrolables. Questions et coups s’enchainent. Seuls des cris répondent aux questions de celui qui cherche à faire tomber plus qu’un ange. Qui compte bien se servir de ce qu’il a pour en faire chuter bien plus. Lorsqu’il pose le fouet, il ne reste que ce sang. Ce sang qui coule, qui goutte, qui glisse sur le sol. Ce liquide poisseux qui recouvre l’intégralité de son dos, qui entache ses plumes blanches. Et il y a l’ange. L’ange endormi qui baigne dedans. L’ange qui n’a pas trahi. Pas encore. L’ange qui en payera le prix dès lors qu’il se réveillera. L’ange qui parlera, coûte que coûte même si cela doit être la dernière chose qu’il fera.

La lame traverse la chair. Le sang pur de l’ange quitte son corps alors qu’un hurlement de douleur franchit la barrière de ses lèvres, brisant le silence de la pièce dans laquelle il est enfermé. On le brise, on le tue à petit feu. On lui enlève la part de bonheur et de joie qui faisait de lui Haiaiel. Il oublie alors qu’on lui retire petit à petit ses souvenirs. Il se bat pour les garder mais ils disparaissent jour après jour alors qu’il perd sa force mentale. Haiaiel se meurt. Il ne reste plus que solitude, douleur, violence et destruction. Même l’eau, son amie, son alliée, celle dans laquelle il puisait sa force, il ne peut s’en servir. Trop risqué à leur goût alors qu’ils n’ont pas encore pleinement le contrôle de son âme. Il doit oublier. Tout oublier. Et s’il se rappelle, ils sont là pour que ça ne soit pas le cas.

La lame glisse là où un jour il y avait eu ses ailes. Ses ailes si blanches qu’on lui avait arraché. Deux larmes roulent, laissant deux sillons salés sur son visage alors que pendant quelques secondes, il se souvient. La lame s’enfonce plus profondément, elle laisse une marque sur la peau blanche de l’être si pur. Une marque ensanglanté qui détonne. Désormais, elles ne seront plus associées qu’à la douleur. Metafel est né.




Et puis, un beau jour, la violence cesse. Un beau jour, il se retrouve subitement au soleil, à la lumière. Elle est forte, si forte qu’il lui faut quelques minutes pour s’y habituer après des nuits passées dans la noirceur de cette cellule qu’il ne pouvait quitter. Il y a la douceur des bras d’un frère qui attendait son retour. Il n’y croit pas. Il pense que c’est un piège. Et puis il s’y habitue. Il disparait parmi la foule des parisiens alors qu’il comprend ce qu’il se passe. Ils ne pourront le retrouver. Pas alors qu’il est au milieu d’une famille. Pas alors qu’il joue les parfaits humains. Il retrouve l’agréable sensation d’un matelas. Ses cauchemars diminuent alors qu’il se sent en sécurité. Ici, avec lui, personne ne pouvait lui faire du mal.

Et puis ils le retrouvent. Et il disparait de nouveau. Parce qu’ils ont compris que ça lui revenait. Que les humains à son contact avec un effet bien trop important sur l’ange tombé. La prison change mais le traitement reste le même. Il est prisonnier, à tout jamais. Et il rêve. Il rêve d’eau. Il rêve de trombes d’eau. Il rêve de sécheresse, de récoltes qui dépérissent, d’orages et de tempêtes. De tuiles qui s’envolent alors que l’eau frappe. La nuit, il rêve. Et le jour. Le jour, le cauchemar ne s’arrête pas. Celui qu’ils n’ont pas suffisamment brisé et l’objet de toute leur attention alors qu’ils cherchent à savoir ce que leur corps humain peut supporter. La douleur l’accompagne et la rage. La colère bouillonne dans ses veines, frappent dans ses tempes alors que les lames s’enfoncent. Alors que les balles transpercent son corps humain. Violent rappel de qui était au contrôle. De ce qu’il aurait dû faire dès qu’il avait mis un pied à Paris. Lui qui avait profité un peu trop de cette liberté si durement acquise. Lui qui avait cherché à disparaitre, à fuir la douleur de cette existence démoniaque. Lui qui avait un instant, alors qu’il était dans les bras d’un frère, cru que c’était possible. C’était de sa faute. C’était lui qui avait trahi. Les souvenirs de celui dans les bras duquel il a un jour trouvé du réconfort sont modifiés. Il l’avait amadoué pour mieux le livrer au sien. Une terrible trahison, une de celle qui déculpe la colère et la rage. Une de celle dont un lien ne se remet pas.

La pluie tombe. Elle ne cesse pas. Elle ne cessera que lorsqu’il l’aura décidé, que lorsqu’ils l’auront décidé. Sous cette eau, il se sent pleinement vivant. Il se sent entier alors qu’elle dévale les rues. Alors qu’elle entraine avec elle des corps, des humains. Et il aime ça. Dans d’autres lieux, il assèche. Elle s’évapore l’eau dans les pots de terre. Elle se dessèche cette terre fertile. Et elles meurent les plantes qui poussaient dedans. Ils ne comprennent pas comment c’est possible. Ils ne comprennent pas d’où vient le problème dans leur serre. Et il y a cet orage. Cet orage qui plaque les cultures au sol sous l’impact de l’eau sur le sol sec. Elle frappe les gouttes, elle brise les tiges et les épis. Et lui, il rit de les voir courir dans tous les sens. De les voir s’évertuer à tenter de sauver leurs précieuses cultures. Mais au milieu d’eux, il y a elle. Elle si douce. Elle qui semble insuffler la vie aux cultures. Elle si belle et si lumineuse avec ses cheveux dorés comme les blés. Elle qu’il a l’impression de déjà connaitre. Elle qui s’occupe des plantes avec amour et lui qui n’arrive pas à assécher la terre alors qu'elle est là. Elle qui réveille quelque chose d’oublié en lui alors qu’il se souvient de brides de phrases oubliées. Agriculture et sécheresse ne peuvent coïncider. Agriculture et orages non plus. Mais il ne lui pose pas de questions. Il cherche juste à comprendre où il peut déjà l’avoir vue sans savoir que ça n’avait jamais été le cas. Parce que c’est juste une déesse. Une déesse qui lui ressemble beaucoup mais une déesse.

Bientôt, il ne la croise plus que dans des rêves épars alors qu’elle change de métier. Mais cette douceur, ils ne parviennent à la lui voler. Car elle se fraye parfois un chemin dans ses rêves. Cette blonde souriante, un épi de blé à la main. Celle qui l’apaise alors que la douleur devient trop forte. Celle qu’ils n’arrivent pas à faire disparaitre de son esprit. Eux qui pourtant voudrait la voir disparaitre à tout jamais, eux qui sont à son active recherche dans le Paris chaotique. Pourtant, ça n’avait jamais été elle. Ca avait toujours été il. L’ange de l’agriculture. Lui qui remue ciel et terre pour retrouver son eau. Lui qui ne désespère pas d’un jour le retrouver. Lui qui déprime et ne produit plus aussi bien. Parce qu’il lui manque toujours son élément essentiel. L’eau.