Le cadre était tombé, et le dessin qui s'y trouvait, s'était irrémédiablement déchiré. Elle n'était pas vraiment adroite, Fantine. Chez Matt, elle ne savait pas vraiment si ça pouvait avoir de la valeur, mais si ça en avait, elle savait qu'elle était un peu dans le pétrin. Peut-être qu'il allait la quitter encore, qui sait. Elle compose son numéro, en se rongeant les ongles. « Matty ? »

Il regarde l'heure en attendant sa pause. Le restaurant est à moitié plein mais le mec s'ennuie. Alors, quand il voit son nom sur l'écran de son téléphone, il sourit. Il prévient les autres avant de sortir à l'arrière du restaurant. « Merci, tu m'as sauvé de cette journée de merde... » Il s'allume une cigarette. « T'es encore au taf ? »

Une journée de merde, en plus. Elle continue à se ronger les ongles, sans vraiment savoir comment lui annoncer qu'elle a cassé un truc. Elle se demande surtout s'il va lui en vouloir. « Pas vraiment, j'suis chez toi, en fait. » Fantine, elle essaie d'amener le sujet un peu doucement. « Dis... Par curiosité, c'est quoi ce tableau, dans ton entrée ? Le truc avec le dessin ? » Sourire légèrement coincé, et Matt, il le ressent probablement, même au téléphone.

Sourcils froncés, il comprend pas pourquoi elle l'appelle juste pour parler d'un tableau. Surtout ce celui-là. Il a les souvenirs qui remontent à la gorge, il élude un peu la question. « C'est rien... » Soupir arraché, tête baissée, elle mérite la vérité après tout. Personne le lui avait jamais demandé. « C'est un dessin de ma mère. Elle adorait dessiner et peindre, mais c'est le seul que j'ai pu récupérer... Pourquoi ?»

Mal. Très mal. Elle se sent très mal, c'est le mot. Elle regarde le dessin, presque déchiré en deux. Elle cherche le scotch du regard, peut-être qu'elle pourrait le rattraper, on sait jamais. « ... C'est vrai ? » Elle se gratte la tête. « Mh.... Mh... Tu ferais quoi du coup, si euh... Il était malencontreusement abimé ? » C'était sûr, maintenant il allait comprendre.

Il y a de l'hésitation et de l'angoisse dans sa voix. il trouve la conversation étrange jusqu'à ce qu'il comprenne. Le dessin de sa mère, elle l'a soit détruit, soit cramé, soit mangé, soit les trois en même temps. Avec Fantine, on sait jamais. Il est pas énervé, juste un peu blasé. « Qu'est-ce que t'a foutu bébé ? »

Courage qu'elle peine à feindre, quand soudain elle commence à pleurer. Elle réagit souvent de manière disproportionnée, Fantine, peut-être que c'est ça qui la rend plus attachante. « J'suis rentrée et mon sac a cogné le tableau, il est tombé et j'ai marché dessus et... Il est coupé en deux. » Elle prend le dessin dans ses mains, toujours en cherchant le scotch. « Tu vas me quitter c'est ça ? »

Elle lui raconte ce qu'elle a fait du tableau et il sourit. Elle est pas très adroite, Fantine. Depuis qu'il la connaît, c'est le bordel dans son appart et il a plus rien de précieux. Il peut pas s'empêcher de rire quand elle lui demande s'il va la quitter.  « Ca dépend, comment tu comptes te faire pardonner ? »

Elle attend sa sentence, presque terrifiée. « Matty c'est tout sauf drôle ! » Elle continue à chercher le scotch, tout en regardant le dessin. Elle a presque peur qu'il ne soit pas en train de se moquer d'elle. Elle marque une pause, elle pose le dessin sur la table.« Tu vas vraiment me quitter ? »

Elle lui dit rigole pas, ça le fait sourire, Matt. Il aime son tempérament un peu excessif, même si parfois elle le fait suer.  « Non, mainenant que je t'ai, j'te quitte plus bébé. » Il tire sur sa clope. « T'en fais pas pour le dessin, c'est pas grave. »

Un soupir de soulagement, elle se sent presque à l'aise. Soulagée. Elle réagit toujours de manière excessive. « C'est vrai ? Tu me détesteras jamais ? » Elle a une voix un peu innocente, mais pleine d'espoir. « Non, j'vais l'arranger, promis. » Parce que Matt, elle y tient, en réalité. Et elle ferait un peu tout pour le rendre heureux, alors pour le rassurer aussi, on peut sentir le sourire dans sa voix.

Elle a l'air soulagée et c'est tout ce qui compte. Entre eux, c'est encore un peu bancal. Y a toujours des problèmes de confiance. Alors, quand il peut les éviter, il le fait.  « Jamais. » Il sourit quand elle lui promet d'arranger le dessin. Il a beau minimiser l'affaire, il y tient. « Te prends pas trop la tête avec ça, okay ? » Il soupire. « J'en peux plus, j'ai qu'une envie c'est de te rejoindre... »

Miracle, scotch trouvé. Elle regarde le dessin. Elle se déteste un peu, même si elle va tout faire pour tout réparer. Elle est habituée à faire ça, Fantine. Essayer de tout rattraper. « Non, c'est important, j'vais essayer de faire comme s'il s'était rien passé. » Un léger sourire. Elle aime que Matty, ça soit le genre de gars qui s'énerve pas pour tout et pour rien. Elle le fait déjà bien assez pour deux. « J'suis désolée, de foutre en l'air tout, comme ça... » Elle passe une main sur son front. « Tu reviens quand ? Tu m'manques aussi. »

Elle persiste et elle s'excuse encore une fois, pendant qu'il essaye de la rassurer. Il sait qu'elle a tendance à paniquer pour tout et pour rien. Surtout pour rien, d'ailleurs. « C'est qu'un dessin, j'vais survivre, t'inquiète. » Il en a déjà marre mais la soirée ne fait que commencer, et lui, il est coincé là jusqu'à pas d'heure. « Je fais la fermeture, donc probablement vers une heure du mat. »

« C'est pas qu'un dessin. » Elle le dit, un peu comme une évidence, parce qu'elle sait qu'au fond, même si elle le force, Matt, il le dira pas qu'il y tient, à ce dessin. Y'a une moue, dans sa voix, avant de lui répondre. « Tu veux pas dire que t'es malade ? » Puis elle regarde par la fenêtre, son sourire revenu. « J'pourrais venir. Comme ça quand t'auras rien à faire, on pourra critiquer les gueules des clients. »

Il hausse les épaules quand elle lui dit de faire semblant d'être malade. Il est pas le genre de mec qui sait mentir, encore moins à ses employeurs. Puis elle lui propose de venir le rejoindre. Cette fois, c'est un sourire qu'on lit sur son visage. « Si tu viens, j'te construis un temple. »

Elle rit, parce qu'au fond, c'est Matty et elle peut difficilement faire autre chose.« Tu sais que j't'aime déjà, pas besoin de temple. » Et elle l'était, amoureuse plus que jamais. « J'finis ça et j'arrive, Matty. »