Il y a un moment de battement, quand les yeux se croisent. Une interrogation que la gamine ne comprend pas, sur le point. Pour elle, tous les humains étaient des inconnus, et lui aussi. Pourtant, elle perçoit l’étonnement de l’autre. Il semble voir quelqu’un de connu à sa place.
C’est lui qui s’approche, pose une main sur son épaule. C’est lui qui l’invite à utiliser son pouvoir, s’offre à elle.
Elle s’y plonge, lui arrache sentiments et secrets. Et elle se voit, comme dans un miroir. Elle revoit cette vie qui n’est pas la sienne, qui ne l’est plus. La gamine heureuse, jouant avec sa famille, ses amis. Puis, plus loin, il y a la perte d’un être cher. Trop loin, elle remonte trop loin.
Elle se décroche, laisse l’autre volonté reprendre sa place. Le corps recule, le corps fuit.

Une silhouette qui entre dans son champ de vision, une allure enfantine qui se rapproche d’elle avec un sourire sur le coin des lèvres. Il n’y a aucune peur dans son cœur quand le contact se fait. Puis la volonté et la conscience s’écrasent sous la puissance de cette inconnue.
Elle les voit, les souvenirs, les pensées les plus secrètes, apparaître devant ses yeux. Il y a les remords de cette femme, suite à la disparition de son petit-fils. Une fugue, voilà comment elle qualifie ce départ. Elle ne l’a pas revu depuis le retour. Il y a les coups portés par un conjoint, abattu voilà désormais quarante-quatre ans. Un geste dont aucun regret ne transparaît. Sur le coup, le parasite ne comprend pas pourquoi. Puis elle s’enfonce dans le passé, encore plus loin. Elle perçoit les années passées le joug d’un tyran, qui dégueule aussi ses actes sur les enfants, le courage de la femme pour s’en sortir. Aucune information utile pour sa quête en soi. Cependant, elle choisit de modifier quelques souvenirs. Rendre le tout plus heureux, et basculer le petit-fils dans la mort. Plus facile à gérer pour cette personne que la disparition.
La conscience reprend, la gamine s’éloigne, rapidement. L’autre reste un instant interdite, se demandant pourquoi elle erre. Evidemment, la raison a disparu de son esprit…

Il a fait une erreur, de croire que la gamine ne pourrait pas lui faire face. Comme tous les autres, il s’attendait à un ange de bas-étage, éliminé en quelques secondes. Et il s’est fait avoir,se retrouve maintenant en mauvaise posture.
Elle, elle veut juste les informations, de quoi envisager les prochains mouvements des démons, pour protéger sa sphère, les quelques humains qui comptent à ses yeux.
Et elle s’infiltre dans l’esprit, avec plus de difficulté cette fois. Il résiste, le démon, lui aussi plus puissant qu’elle ne l’avait estimé. Quelques secondes pour remonter le fil des pensées, des sentiments. Ressentir la haine à l’égard des anges, des humains. Des siens aussi. La colère se déclenche chez la gamine, qui finit par devoir relâcher l’autre volonté.
Le corps l’attaque, cherche à se venger de l’affront. Enième combat, énièmes heurts. Elle n’aurait pas ses informations ce soir.

Silhouette reconnue, à laquelle il fait face alors qu’il est désormais à la tête de l’Ordre. Les deux sont au courant qu’elle n’est plus celle qu’elle devrait être depuis bien longtemps déjà. L’affrontement se fait silencieusement, alors que l’archange derrière la gamine cherche à retrouver une place de conseillère. Incapable de comprendre, elle finit par l’obliger à se dévoiler.
Et la voilà, louvoyant à travers les pensées les plus intimes d’un homme qui avait fat partie de sa famille. Comme deux années plus tôt, elle se revoit, ou revoit plutôt cette enveloppe charnelle qui souffre un peu entre ses doigts. Cependant, elle ne s’y attarde pas, n’ayant pas le temps. Elle revient sur les derniers mois, les dernières années. Elle remarque les failles laissées par une disparition, mais aussi la pression mise sur les épaules de l’homme, de par son rang. Elle ressent aussi le scepticisme envers les anges, envers elle donc. Le besoin de l’homme de veiller sur ses troupes ressort de l’analyse, fait écho à Vehuhiah. Elle met au jour les souffrances et les doutes de celui qui n’en parlera jamais, sans la moindre vergogne. Elle creuse, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien de secret.
Puis elle revient, face à lui, ses yeux azurs enfoncés dans les iris perturbées de l’homme.